Au gris de la nuit

Les yeux fermés, allongée près de toi,
bercée par ta chaleur,
Je sais à ton souffle apaisé
que tu ne rêves pas encore.

L'oubli des corps dans l'inconscience
nous déporte vers d'autres fonds
L'amour de toi erre sans attaches
à l'orée de mes paupières closes,
Ton bras m'effleure sans me connaître
et se retire comme la mer
Aucun dormeur n'est innocent
dans la crudité sans limites
Et le splendide isolement
où nous enferme le sommeil.

    RENE  PHILOLOMBE

Poème et prosateur africain, René Philombe est né en 1930, à Ngaoundéré ( Cameroum).Son poème est un appel à la rencontre entre les hommes, par-delà ce qui les sépare.

L' homme qui te ressemble

J'ai frappé à ta porte                                 Pourquoi me demander

J'ai frappé à ton coeur                            Si je suis d' Afrique

pour avoir bon lit                                 Si je suis d' Amérique

Pour avoir bon feu                              Si je suis d' Asie

pourquoi me repousser?                    si je suis d' Europe?

Ouvre -moi mon frère!...                  Ouvre-moi mon frère!...

  Pourquoi me demander                            Je ne suis pas un noir

La longueur de mon nez                          je ne suis pas rouge

L'épaisseur de  ma bouche                   Je ne suis pas jaune

la couleur de ma peau                        Je ne suis pas blanc

Et le non de mes dieux?                 Mais je ne suis qu' un homme

Ouvre-moi mon frère!...               Ouvre-moi mon frère!.....

                           ( Poésie d'un continent.)

Dame rivière


Attention ! Taisez-vous donc,
Entendez-vous ce doux murmure derrière les branches?
Et cette sourde clameur d'eau bondissante qui s'écrase
Sur les roches en écumes blanches?
C'est de l'eau, oui, mais de l'eau majestueuse,
Qui prend sa source directement au ciel.
Si le vin est le sang du fils du charpentier,
Ce sont ici ses larmes les plus belles.
C'est une eau à remplir des calices,
Se goûtant sans détour avec délice,
C'est une rivière enchanteresse, où jadis se baignaient les fées,
C'est l'Eden des pêcheurs et des maîtres gimbardiers.

Regardez ce tourbillon de lumière qui détrône le soleil,
Et là, ce bras où l'ombre se cueille comme une merveille.

C'est la Dordogne, rivière aux mille ruisseaux,
Du Quercy à la Gascogne, gardée par de massifs châteaux,
Ces monstres de pierre féodale, la regardent de haut,
Certes mais c'est pour la mieux voir
Ils veillent sur elle comme de vieux rois jaloux
De leur jeune reine d'un soir.
C'est bien compréhensible.

C'est une Dame qui sous ses jupes couleur de saisons,
Cache des trésors sans nom.
Voyez ces grottes profondes inondées de fraîcheur,
Ces herbiers dressés, Amazonie des profondeurs,
Dans laquelle des légions d'Alvins entament des ballets aquatiques,
Attendant la permission d'explorer ces fonds magnifiques.

Ecoutez-la chanter ses quatre saisons,
Oiseaux flûtistes l'accompagnant, vent dans les arbres au violon.
En écho à ses mélodies symphoniques,
Répondent les falaises aux accents troglodytes.

Quand vient l'automne jaunissant,
Elle coule, coule discrètement.
Camouflée dans sa cape de feuilles.
En hiver, elle passe sa robe blanche, pleine d'orgueil,
Sa course est colérique, rapide,
Passé l'orage, elle redevient limpide.
Au printemps, elle revêt sa plus belle toilette,
Freinant sa course pour admirer, émerveillée,
Dame Nature se faire coquette.

Chut! Point de bruit fait comme elle chuchote. . .

Toute habillée de soleil d'été, elle fait la sieste,
Tel le lion après l'antilope
Elle est belle à se damner non?

Alors si vous la polluez, demandez-lui donc pardon
Allongez-vous dans le lit de cette vieille Dame rivière,
Dans ses bras qui vous bercent, la lourdeur aux paupières,
Abandonnez-vous sans crainte au pays de Morphée, belle sorcière,
Et plongez béatement dans des rêves d'eau claire.